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Lire et relire avec Alberto Manguel

LA PREMIÈRE PHRASE : « Il y a des livres que nous parcourons dans l’allégresse, oubliant chaque page lue sitôt tournée la suivante ; d’autres que nous lisons avec révérence, sans les oser ni approuver ni contester ; d’autres qui se bornent à nous renseigner et excluent d’avance les commentaires ; d’autres encore que, parce que nous les aimons si fort et depuis si longtemps, nous ne pouvons que répéter, mot à mot, car nous les connaissons, au sens propre, par cœur. »


LA DERNIER MOT : « entraîner ».


Alberto Manguel, Journal d’un lecteur, Actes Sud Babel, 245 p.

Alberto Manguel est argentino-canadien, il a vécu en France dans un petite village du Poitou où il avait installé son immense bibliothèque. Il est l’auteur de romans et d’essais et il a notamment beaucoup écrit sur la lecture. Je l’ai vraiment découvert récemment en assistant à une rencontre organisée par la Maison de la Poésie pour la publication de son dernier livre Je remballe ma bibliothèque. Il y racontait comment, en raison de « tracasseries administratives », il était contraint de remballer les milliers de volumes de sa bibliothèque pour la relocaliser au Canada. Il y parlait surtout de sa passion de la lecture, avec tellement d’enthousiasme et d’intelligence qu’on n’avait qu’une envie en sortant : lire, lire, lire….

J’ai donc prolongé le plaisir avec son Journal d’un lecteur.


Dans cette chronique, parue en France en 2006 mais écrite entre 2002 et 2003, Alberto Manguel a décidé de relire, à raison d’un par mois, quelques-uns de ses livres préférés, parmi lesquels Don Quichotte, Les Mémoires d’outre-tombe, Les Affinités électives, Le Désert des Tartares … Plutôt ce qu’on appelle des classiques, donc, mais Alberto Manguel parle aussi, au fil des pages ses auteurs « secrets » : ceux qui, pour des raisons obscures, ne sont connus que par un cercle restreint de lecteurs fidèles (et donc privilégiés..)


On ne trouve pas, dans ce Journal, une analyse au sens classique des livres dont il est question : Alberto Manguel, n’aime pas les résumés et adore les digressions… Mais c’est bien sûr, tout le charme de cette lecture. On trouve dans ce Journal de petites notes, sous formes de fragments, sur la lecture du moment, sur la façon dont elle entre en résonance avec l’actualité (le journal est écrit un an après le 11 septembre, au déclenchement de la guerre en Irak) mais aussi avec les activités du quotidien, les voyages et même l’ambiance particulière de la saison (chaque chapitre est imprégné de la tonalité du mois pendant lequel il est écrit). Dans cet aller-retour permanent, Alberto Manguel nous rappelle que la lecture est active : lire ce n’est pas seulement le moment de la lecture, le livre est magique et continue d’agir lorsque nous l’avons refermé : il nous accompagne, alimente nos réflexions, aiguise notre regard.


Au-delà des livres dont il est question, ce Journal est surtout une très belle et personnelle réflexion sur la lecture. Très érudit, Alberto Manguel est un guide passionné sur le chemin d’une lecture riche, d’un dialogue avec les livres que nous aimons. Il nous rappelle d’ailleurs que ce dialogue n’appartient qu’à nous :

« C’est curieux, cette façon dont un lecteur façonne son propre texte en remarquant certains mots, certains noms qui ont pour lui une signification privée, dont lui seul perçoit l’écho et qui échappent à tous les autres. »

Pour un même titre, il y a autant de livres que de lecteurs.


Et peut-être autant de livres que de lectures… En effet, ce Journal nous invite aussi à relire. Tous les livres dont il est question ici, Manguel les a déjà lus une fois, voire plusieurs. Il regrette, parfois, l’innocence perdue du jeune lecteur, cette appréhension que l’on peut éprouver, avant de relire un livre qu’on a beaucoup aimé enfant.

« Je me rappelle à peine ce que c’était de ne pas savoir que le Dr Jekyll et Mr Hyde étaient une même personne, ni même que Robinson Crusoé allait rencontrer vendredi »

Mais il s’émerveille, à la relecture, de tout ce qu’il y découvre de nouveau et nous dit qu’il faut relire puisque les livres qu’on rouvre se déplient à l’infini…


Bibliophile, Manguel parle aussi de son amour du livre-objet physique : le plaisir d’avoir un livre dans une belle édition quitte à avoir le même en trois, quatre, cinq exemplaires, les règles qu’il se donne pour ranger les volumes de sa bibliothèque, sa répugnance à emprunter des livres :

« Je me sens mal à l’aise quand j’ai chez moi des livres appartenant à quelqu’un d’autre. J’ai envie soit de les voler, soit de les renvoyer sans attendre. Un livre emprunté, c’est un peu comme un visiteur qui s’incruste »

Il nous raconte aussi ses petites manies de lecteur : jeter un œil furtif au dernier mot du livre qu’il s’apprête à lire, prendre des notes à l’intérieur, relire ses notes des années plus tard et ne plus comprendre ce qu’il a voulu dire…


Pour toutes ces raisons (et toutes celles que vous trouverez en faisant votre propre lecture), j’ai trouvé très agréable de passer quelques temps en compagnie d’Alberto Manguel, de son amour des livres et de son généreux plaisir de le transmettre. C’est donc à grand regret que j’ai terminé ce livre mais encore plus heureuse de la perspective d’en ouvrir un autre immédiatement !


 

Pour prolonger la lecture...

ou vous donner envie de lire Alberto Manguel, vous pouvez écouter :


La captation de la rencontre avec Alberto Manguel à la Maison de la poésie :




- Une passionnante conversation avec Marie Richeux dans l’émission de France Culture Par les temps qui courent : https://www.franceculture.fr/emissions/par-les-temps-qui-courent/alberto-manguel

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